PARTHASARATHI RAJAGOPALACHARI (1927-2014) aborde des questions séculaires sur la création et la créativité, et évoque la façon dont nous pouvons cultiver des idées-semences pour faire naître ce qui est unique et nouveau.
Mon guide spirituel m’a dit un jour: «Il y a une question sur laquelle butent depuis toujours les philosophes du monde entier: qui est arrivé en premier, l’œuf ou la poule? La graine ou l’arbre?» Il a ajouté: «Dieu n’est pas stupide au point de créer un arbre, quand il peut produire une graine qui a le potentiel d’en devenir un!»
La science occidentale a trébuché sur cette vérité – ou ce secret – en parlant de l’atome primitif à l’origine de tout notre univers. Un jour, cet univers se rétractera, s’affaissera sur lui-même et retournera à l’état de graine, dans un mouvement de balancier perpétuel. C’est la danse de Shiva, comme on l’appelle dans la mythologie hindoue – création, destruction, création. Ce n’est rien d’autre que l’effondrement de la totalité en elle-même, qui deviendra semence pour la création suivante.
Ainsi, ce qui nous est donné sous forme de graine est un cadeau. Je me souviens d’un conte pour enfants à propos d’un homme riche qui avait trois fils. L’aîné était avare, le deuxième, cupide et le troisième, patient et travailleur. Quand le vieil homme mourut, ils découvrirent dans son testament qu’il léguait ses usines au premier, son argent au deuxième, et au plus jeune un paquet de semences. Au moment du partage, tout le monde pensa que c’était très injuste. Le vieil homme devait être stupide pour avoir traité ses enfants aussi inégalement, surtout le plus jeune, avec ce sachet de graines. Pourtant, c’est lui qui devint célèbre: avec ces graines il fit pousser des forêts immenses, qu’il exploita pour vendre du bois, ce qui lui procura en définitive tout ce que la richesse peut apporter.
La finalité d’un arbre est de produire à nouveau des graines, les graines tombent sur le sol et deviennent à leur tour des arbres. À supposer qu’un arbre se reproduise par simple multiplication, qu’arriverait-il? Il n’y aurait pas de beauté, il n’y aurait pas de création, pas de nouveauté, pas d’originalité, pas de changement. C’est dans le passage créatif d’une graine à un sujet adulte – qu’il s’agisse d’une plante, d’un animal, d’un être humain ou même d’un univers – que se trouve la possibilité d’un changement. En termes de biologie, c’est là que peut se produire une mutation. Quand on fabrique des clones, il n’y a jamais de mutation, il n’y a jamais de changement.
C’est du rien que tout
provient. De quelque
chose, il ne peut venir
que quelque chose. C’est
une équation fonda-
mentale. Quelque chose
ne peut donner lieu
qu’à quelque chose.
Alors que le rien recèle
la possibilité du tout.
La diversité ne vient pas de ce que Dieu a créé des variétés différentes, mais de ce qu’il a produit des graines en leur donnant la capacité de se modifier, d’évoluer sous l’influence des circonstances extérieures, et c’est cela qui rend chaque croissance unique. Par conséquent, l’unicité provient de ces petits cadeaux que sont les graines.
Nous pouvons nous aussi entreprendre d’exprimer ce qui est caché en nous sous forme de graine. Dans une histoire tirée de la Brihadaranyaka Upanishad, un garçon voit une graine coupée en deux et dit: «Il n’y a rien à l’intérieur.» Le rishi lui répond: «C’est de ce rien qu’est sorti cet arbre.» Ainsi, c’est du rien que tout provient. De quelque chose, il ne peut venir que quelque chose. C’est une équation fondamentale. Quelque chose ne peut donner lieu qu’à quelque chose. Alors que le rien recèle la possibilité du tout.
Qu’est-ce qui sort de la graine? Un foisonnement. Qu’est-ce que ce foisonnement produit? Simplement d’autres graines, là encore afin de générer l’abondance. Une pensée-semence doit se multiplier. Sinon, on n’irait pas acheter des graines. Qui donc achèterait des gerbes de céréales et les planterait dans son jardin, pour le seul plaisir de les couper et de les battre? L’ effort doit donc plus porter sur la recherche de la bonne graine que sur son développement. Quelle graine dois-je utiliser? Quelle pensée-semence devrais-je planter? Quelle pensée-semence m’aidera à développer ce qui est nécessaire ici? Il est bien connu que l’on ne peut pas planter des chênes là où poussent les manguiers. Il faut donc sélectionner la bonne graine!
Je connais beaucoup de gens qui s’intéressent au jardinage, et si l’un d’eux émet un doute au moment où il plante ses graines: «Je me demande lesquelles vont pousser…», rien ne vient. Puis il y en a d’autres qui ne connaissent pas la botanique, la zoologie, les semences, ni la science du sol. Ils plantent leurs graines avec amour, arrosent tendrement leur jardin, et tout prospère. Nous disons qu’ils ont la main verte – en fait ils ont un cœur aimant. Qu’est-ce que la main verte? C’est l’amour qui, avec l’eau, coule jusqu’à la graine. La graine pousse en réponse à cet amour.
Alors, quand vous recevez des graines en cadeau, soignez-les avec délicatesse, avec amour et attention. Arrosez-les avec patience et laissez-les croître à leur rythme.