Le moment présent
MEGHA BAJAJ raconte une histoire simple et belle à propos d’un moine et de ses disciples, et la met en relation avec sa propre découverte du pouvoir du moment présent.
Les histoires nous dispensent un enseignement qu’elles seules peuvent nous donner. Cela faisait des jours qu’une question m’occupait l’esprit: comment progresser sur le chemin spirituel? Hier soir, enfin, la réponse a jailli avec la naissance de cette histoire. À travers moi, et pour moi, cette histoire a marqué une étape importante. Je me suis approprié la prise de conscience qu’elle raconte. Peut-être pourrait-elle aussi devenir la vôtre?
Il y a très longtemps, alors que la recherche de la paix était encore la quête la plus importante pour chacun, vivait un grand moine bouddhiste. Son petit monastère se trouvait tout en haut des montagnes glacées par la neige et irisées de rayons de soleil orangés. Les gens venaient du monde entier pour le rencontrer. Ni les hauteurs escarpées, ni les vents déchaînés, ni les bêtes sauvages – rien ne pouvait les empêcher d’affluer – car ils savaient que ce moine pouvait leur ouvrir le chemin de la paix. Pourtant, après quelques jours à peine, ils étaient nombreux à s’impatienter et à repartir. Pourquoi? Le moine parlait à peine. Il poursuivait sa routine comme à son habitude. Pour beaucoup, c’était difficile à supporter.
Si je peux apprendre à faire ce que je fais en m’y immergeant complètement, la méditation cessera d’être une partie de ma journée. Elle deviendra une partie de moi. Et peu à peu, elle deviendra moi.
Le grand moine avait un rire joyeux et une étincelle au fond des yeux. Il semblait à la fois très vieux et enfantin. Il n’invitait ni ne refusait jamais personne. Quand quelqu’un arrivait, il veillait à ce qu’il se sente comme chez lui dans sa maison. Beaucoup étaient venus, beaucoup étaient repartis – mais un petit groupe de onze personnes était resté. Le moine savait qu’il avait finalement opéré un tri entre les «chercheurs» et les «questionneurs». Restaient ceux qui avaient tout quitté pour trouver la paix, et qui repartiraient non pas en sachant ce que signifiait la paix, mais en la portant en eux! Le moine vaquait à toutes les activités quotidiennes, tandis que le petit groupe suivait, espérant obtenir une indication sur la façon dont ils pourraient eux aussi être en constante et bienheureuse union avec leur Seigneur.
En fin d’après-midi, le moine s’asseyait sous un arbre, tandis que ses fidèles se rassemblaient autour de lui. Certains mettaient la tête sur ses genoux, et il les caressait avec amour, tandis que d’autres se contentaient de le regarder de loin. Les chercheurs posaient des questions; parfois le moine leur répondait longuement, et parfois il choisissait de leur parler en silence. Quoi qu’il en soit, la nuit ne tombait pas sans que tous les doutes ne soient dissipés.
Lors d’une de ces soirées, la plus jeune fille du groupe, Mira, lui demanda: «Bien-aimé, dites-moi le secret de votre paix. Je veux le savoir.» Certains que les mots qui suivraient allaient changer leur vie, tous les membres du groupe se rapprochèrent. Le moine répondit: «Quand je marche, je marche.» Les chercheurs se rapprochèrent encore. Ils voulaient en savoir plus. Ils voulaient se transformer. Quelque chose leur disait que la réponse leur serait révélée. Le moine, cependant, ne dit plus rien. Il resta assis, les yeux tournés vers le ciel, admirant les étoiles.
La beauté de cet instant, lorsqu’on y est plongé complètement et absolument, c’est que plus rien d’autre n’a d’importance. Les factures impayées, les corvées du lendemain, le genou qui fait mal – dans l’ici et maintenant, rien de tout ça n’existe. Tout ce qui existe, c’est l’activité dans laquelle vous êtes impliqué – et vous.
Les chercheurs furent déçus. Ils avaient pensé qu’un secret profond et complexe leur serait dévoilé. Mais non, le moine n’avait prononcé que cette seule et unique phrase «quand je marche, je marche.» Qu’est-ce que cela pouvait signifier? Tous s’endormirent cette nuit-là avec des questions tournant autour de ses mots, cherchant des réponses qui leur échappaient toujours.
Le lendemain, le moine occupa sa journée comme à l’accoutumée, et les chercheurs lui emboîtèrent le pas. Quand il se mit à arracher les mauvaises herbes de son petit jardin, le groupe l’aida. Sentant une certaine agitation dans l’air, le moine sourit en lui-même. Pourtant, personne ne dit mot. Chacun avait déjà appris que les réponses venaient au moment voulu. Souvent, l’un d’eux avait comme une révélation aux paroles du moine et partageait sa prise de conscience avec les autres. Ceux-ci y réfléchissaient et attendaient que cette prise de conscience devienne une partie d’eux-mêmes. Ce jour-là, cependant, la révélation ne semblait pas d’humeur à se lier d’amitié avec qui que ce soit.
Le gourou gloussa silencieusement et demanda à la jeune fille: «Mira, que fais-tu en ce moment?» Surprise par la question, elle répondit: «Je vous aide à arracher les mauvaises herbes, Bien-aimé.» Il sourit et demanda: «Et quoi d’autre?» Mira lâcha sans réfléchir: «Mais… rien d’autre!» Le moine demanda: «Es-tu sûre de ne rien faire d’autre?»
Mira resta silencieuse une minute puis avoua: «Je pense à vos paroles.»
«Mais encore?» demanda malicieusement le moine.
«Eh bien… je me demande ce qu’il y aura à dîner ce soir…» ajouta Mira avec un petit rire.
Le moine sourit et reprit: «Quand j’arrache les mauvaises herbes, j’arrache les mauvaises herbes.» Sur ce, il se remit à sa tâche avec la même intensité que lorsqu’il méditait, mangeait, regardait un lever de soleil ou parlait avec eux.
Tout le groupe se mit à sourire. C’était la première fois qu’ils avaient compris quelque chose tous en même temps. L’agitation se transforma en excitation, qui bientôt se changea en paix. Cet après-midi-là, le petit groupe de douze – le maître et ses onze disciples – arrachèrent les mauvaises herbes sans rien faire d’autre.
Depuis que cette histoire s’est révélée à moi spontanément, ma façon de voir la vie a changé. Championne des multitâches, j’étais persuadée que je ne devais gaspiller aucun instant de ma vie. Je faisais tout mon possible pour remplir chaque seconde. Je regardais des films en faisant de la gymnastique. Je déjeunais en lisant un livre. J’admirais un lever de soleil tout en bavardant au téléphone. À chaque instant, je me livrais au moins à deux ou trois activités en même temps… et je me demandais pourquoi je n’éprouvais aucun plaisir à faire tout ça.
Quand je marche, je marche. C’était une réponse tellement simple. C’est ce que je fais depuis hier. Quand je mange, je mange. Quand je suis avec mon mari Arun, je suis avec Arun. Quand j’écoute de la musique, j’écoute de la musique. Au début, cela m’a semblé horriblement difficile de ne faire qu’une chose à la fois. J’étais nerveuse, irritée. Mais je n’ai pas abandonné. À un certain moment, alors que j’avais poursuivi une activité suffisamment longtemps et m’y étais complètement adonnée, j’ai réalisé que quelque chose en moi s’était soudain modifié. Je ne vivais plus dans le passé ni dans l’avenir – j’avais basculé dans ce «maintenant» tant convoité, le moment tel qu’il est, le «présent permanent».
La beauté de cet instant, lorsqu’on y est plongé complètement et absolument, c’est que plus rien d’autre n’a d’importance. Les factures impayées, les corvées du lendemain, le genou qui fait mal, l’enfant agité – dans l’ici et maintenant, rien de tout cela n’existe. Tout ce qui existe, c’est l’activité dans laquelle vous êtes impliqué – et vous-même. Immergez-vous encore plus profondément, et il ne reste que l’activité. On se dissout. Et dans ces moments où il n’y a plus de «vous», ce qui est, est. Et ce «est», c’est la paix! Cela semble presque trop simple pour être vrai, n’est-ce pas? Trop banal. J’ai toujours cru que trouver la paix était un processus traître, ardu et difficile, mais je me rends compte maintenant que c’est si simple qu’on passe à côté sans le voir.
Je me suis toujours demandé quelle était la différence entre un moine et moi. Maintenant, je le sais. Même en méditant, je pense, je planifie, je creuse, je m’interroge. Un moine, même en pensant, en planifiant, en creusant, en s’interrogeant, médite. Si je peux apprendre à faire ce que je fais en m’y immergeant complètement, la méditation cessera d’être une partie de ma journée. Elle deviendra une partie de moi. Et peu à peu, elle deviendra moi.
Habituellement, quand j’écris, je sirote un chai, je bavarde sur Facebook et je vérifie mes mails. Aujourd’hui, en écrivant, j’écris. Et je sens la différence. Je peux presque vous sentir assis à côté de moi, comme un ami, un compagnon chercheur, alors que nous vivons ce message ensemble: quand je marche, je marche.