Lien entre Bonheur et altruismeDacher Kelter, professeur de psychologie à Berkeley, est le co-fondateur de l’institut « Greater Good Sciences Center » de l’université de Berkeley, qui étudie de manière scientifique les thématiques du bonheur et de l’altruisme. Il est l’auteur de nombreux livres, notamment « The Power Paradox : How We Gain and Lose Influence » (non-traduit à ce jour en français). Pionnier de la recherche sur le bonheur, Dacher a échangé avec Elizabeth Denley, et nous avons le plaisir de retracer en français les échanges ci-dessous. (La deuxième partie de l’interview est également présente sur le blog ici)

 Bonjour Dacher, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis professeur de psychologie à l’université de Berkeley en Californie, et je dirige le Greater Good Science Center. Pendant les 8 à 10 premières années, je me suis énormément investi pour monter ce centre, ça a été très prenant : j’ai écrit des articles, donné des conférences, animé des ateliers, organisé des programmes, monté le site web, fait connaitre le projet aux professionnels de la santé, aux enseignants, etc. A l’époque, c’était plutôt innovant, la thématique du bonheur est aujourd’hui populaire, il y a beaucoup de livres sur le sujet, mais ce n’était pas le cas il y a 15 ans !Portrait phot de Keltner Dacher

Et comment était-ce il y a 15 ans ?

Nous avons commencé il y a 15 ans, portés par un intérêt personnel sur les thématiques de la gratitude, la pleine conscience, la compassion et l’empathie, alors que le mouvement de fond d’intérêt pour ces sujets démarrait à peine. Il n’existait encore que peu de publications. Nous nous sommes donc consacrés à réunir la matière, la documentation – des essais, des comptes-rendus de recherches, des vidéos, etc. Puis, ayant rassemblé notre contenu, nous l’avons d’abord proposé à des enseignants. Depuis, nous avons engagé deux directeurs d’école, nous organisons tous les étés un séminaire pour les enseignants, je fais des exposés dans les écoles, et nous sommes consultants dans des instituts de formation pédagogique. Ensuite, le cours online que nous avons conçu avec Emiliana Simon-Thomas, «Science of Happiness», a peu à peu touché une audience internationale. D’ailleurs, vous pouvez retrouver ce cours en ligne, gratuit et en anglais sur la plateforme de e-learning edX. Parallèlement, nous avons commencé à nous rendre dans les entreprises en proposant une conférence sur la gratitude au travail. Emiliana et moi faisons beaucoup d’exposés dans les grandes organisations, et je pense que nous allons nous tourner maintenant vers le secteur de la santé, et développer un programme sur la façon dont un médecin peut conseiller un patient, en s’inspirant de la sagesse du Greater Good Science Center. Nous avons donc commencé par développer et structurer notre contenu. Quand nous nous sommes sentis prêts à proposer aux gens une expérience profonde dans laquelle s’immerger, nous avons mis en place une stratégie d’extension.

Pouvez-vous nous parler de votre cheminement personnel? Comment en êtes-vous venu à vouloir apporter de la bonté dans le monde ?

Mes parents appartenaient à la contre-culture. Ma mère était féministe et professeur de littérature, et mon père était artiste ; ils m’ont appris à m’enthousiasmer, à m’ouvrir aux arts et à la littérature, à voyager, à m’émerveiller devant le monde. Cela a déterminé ma carrière scientifique et les domaines que j’étudie, tels que la beauté, l’émerveillement, la compassion et la dynamique du pouvoir. Mes parents s’intéressaient à l’activisme et aux grands mouvements sociaux des années 60, cela m’a conduit à me préoccuper de justice et d’injustice; je pense que ce qu’ils m’ont essentiellement appris, c’est que les idées peuvent vraiment aider à transformer le monde. Mon intérêt pour l’étude scientifique de choses telles que l’émerveillement et la compassion vient de mon enfance. Mes parents m’ont donné le courage de m’engager en diffusant une connaissance ou une science qui puisse accroître le bien-être de beaucoup de gens.

Est-ce qu’il y a un eu lien entre le début de cette aventure et les attentats du 11 septembre ?

Nous avons commencé à une époque, après le 11 septembre, où les inégalités économiques et l’injustice judiciaire montraient que la culture américaine avait vraiment besoin d’un gros coup de main. Cela durait depuis 15 à 20 ans. Il nous fallait des modèles alternatifs pour donner du sens à notre vie, à notre travail, à la façon d’éduquer nos enfants, à ce que nous pouvions apporter au monde. Tel a toujours été mon but: aider les gens à penser autrement, à sortir des sentiers battus.

Concernant le bien commun, que pensez-vous de l’hypothèse selon laquelle, même si nous savons ce qu’il est juste de faire, il est difficile de changer ? Par exemple, pourquoi y a t-il des criminels récidivistes?

Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette hypothèse que nous savons ce qu’il est juste de faire. Ça m’a frappé lorsque j’étudiais et enseignais la compassion. Dans nos milieux, on reconnaît la valeur de la compassion et de l’attention aux autres, mais il y a quantité de domaines où la compassion est déconseillée et dénigrée. A Wall Street, elle n’est pas exactement considérée comme une vertu! On ne sait donc pas nécessairement ce qui est juste. Les êtres humains sont dotés de toutes sortes de tendances, allant de la compassion à la rivalité, et ce que nous pensons être juste dépend de notre éducation. Voilà qui pourrait peut-être éclairer la question suivante. Si nous avons vraiment l’intuition de ce qui est bien – et je crois que c’est le cas – pourquoi y a-t-il tant d’inégalités aux États-Unis? Pourquoi notre système de justice pénale est-il si partial envers les jeunes Afro-Américains et Latinos ? Cela soulève la question du changement. Nous sommes toujours partis de l’idée que les obstacles au changement positif sont essentiellement structurels. Aux États-Unis, on est persuadé que l’argent rend heureux et qu’il faut réussir par tous les moyens. Or les recherches scientifiques montrent que c’est faux. La croyance qu’il faut apprendre à nos enfants à être férocement compétitifs ne tient pas face aux tests sur la véritable réussite dans la vie : les gosses plus gentils réussissent mieux.

Oui, il y a vraiment une question de problème structurels, finalement ?

Il faut donc s’occuper des problèmes structurels, et je vais y consacrer la prochaine étape de ma carrière. Par exemple, il y a clairement des préjugés dans notre système de justice pénale et nous pouvons changer ça. Je m’intéresse aussi au droit humain fondamental de sortir au grand air, parce que notre travail sur l’émerveillement a montré que, lorsque les enfants et les seniors en ont l’occasion, ils se portent mieux. Pourtant, aux États-Unis, il n’y a pas de parcs pour les enfants pauvres, et les vétérans n’ont pas la possibilité de sortir dans la nature. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour surmonter les obstacles au changement positif et développer les aménagements structurels qui le favorisent. Et je reste persuadé que ce combat en vaut vraiment la peine. Je crois que les mouvements de pleine conscience contemplative ont d’une certaine façon oublié que notre santé est inséparable de celle des moins favorisés de notre société, que nous sommes tous connectés, et qu’il est aussi de notre responsabilité de lutter pour une justice sociale.

Merci à Elizabeth Denley pour l’interview!

Liens utiles (en anglais)

Le cours en ligne, gratuit et en anglais sur la plateforme de e-learning edX:
https://www.edx.org/course/science-happiness-uc-berkeleyx-gg101x-5

Le lien du centre du bien commun de Berkeley  / « Center for Greater Good »
https://greatergood.berkeley.edu/

Fiche-contact de Dacher Keltner sur le site de l’université de Berkeley
http://psychology.berkeley.edu/people/dacher-keltner

Le laboratoire spécialisé
http://socrates.berkeley.edu/~keltner/

Article sur le livre « The power paradox » – The guardian
https://www.theguardian.com/books/2016/may/18/the-power-paradox-how-we-gain-and-lose-influence-dacher-keltner-review

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