NEGIN MOTAMED nous parle du vieillissement dans une société qui pousse à rester jeune, beau et en bonne santé le plus longtemps possible, et nous offre une source d’inspiration pour aller à contrecourant et vieillir en conscience et en beauté!
Quand on parle de vieillir, dans le monde d’aujourd’hui, on dirait toujours qu’il s’agit de quelque chose de négatif, par quoi il faut «passer», comme on traverse les traumatismes, les chagrins et les maladies.
Du point de vue matériel, ça ne fait aucun doute, c’est la vie qui décline, c’est un processus de diminution, de lente destruction de la matière qui s’installe. Nous assistons à la déformation de notre corps qui passe peu à peu de fort à fragile, de dynamique et souple à voûté. C’est en clair la route qui nous mène à la mort. Et de même que la mort est taboue dans notre culture matérialiste, le vieillissement l’est aussi. D’où la gigantesque industrie des produits anti-âge, des suppléments de toutes sortes, des injections de Botox, des opérations de chirurgie esthétique et autres tentatives de repousser l’inéluctable. C’est la démonstration que notre culture ne l’accepte pas comme une étape naturelle de la vie.
Cette résistance obsessionnelle au vieillissement s’est transformée en une peur profonde dans notre conscience collective, à tel point que certains, pour conserver leur jeunesse, ne vivent pas pleinement leur vie; ils font des compromis, ne profitent du contact doux et bienfaisant du soleil sur leur peau que pendant quelques minutes avant de se couvrir de vêtements et de crème solaire. D’autres cachent leur âge comme si vieillir était un crime! Pour moi, cacher ou réduire le nombre des années vécues est le signe que nous n’avons pas le sentiment de les avoir vraiment vécues. Et si on les a bien vécues, pourquoi ne pas en être fier et en parler comme d’une partie significative de sa vie?
Le vieillissement fait partie du cycle naturel de l’existence; il suit son cours, tout comme le cycle des saisons. Le passage du printemps à l’été, puis à l’automne et à l’hiver se produit que nous le voulions ou non! Et lorsque nous l’acceptons et suivons le courant de la vie avec élégance, tout prend une autre qualité, nous devenons partie prenante de ce processus, nous n’avons plus à lutter, et notre point de vue change: de victime nous devenons co-créateur. Nous revendiquons et reprenons le pouvoir que nous donne la Nature. Ayant abandonné le refus, nous participons activement et joyeusement au processus.
Mais que signifie en réalité participer joyeusement au processus de vieillissement? Le premier pas est évidemment de l’accepter comme une évidence. C’est accueillir résolument cette nouvelle étape de notre vie, se renseigner sur les transformations à venir, depuis les changements physiologiques de nos hormones, de nos muscles et de nos os, jusqu’aux changements émotionnels. C’est comme se préparer à l’automne avant la fin de l’été. Nous sommes parés, nous savons exactement ce que demande le jardin. Nous commençons à collecter les graines des fleurs, engranger les récoltes, préparer le sol pour le printemps, planter les bulbes dans la terre…
De même, en nous familiarisant avec les changements qui se produisent en vieillissant, nous pouvons nous préparer mentalement et choisir une stratégie. Certains voudront déménager dans un espace plus petit pour faciliter son entretien et passer plus de temps à voyager, à se détendre ou à cultiver de nouvelles habitudes, comme la méditation, le yoga, une alimentation plus saine, etc. À ce stade de notre vie, nous avons généralement moins de responsabilités envers les enfants et plus de liberté financière pour suivre une nouvelle vocation. Ainsi, certains d’entre nous décideront de consacrer leur temps au service de la société, bénévolement ou dans le cadre d’une nouvelle carrière, en faisant quelque chose qui les inspire.
Tout est possible quand nous laissons le vieillissement apparaître pleinement dans notre être, et donc dans notre vie, et que nous acceptons de suivre le courant, en observant attentivement nos changements intérieurs et extérieurs. Nous remarquons alors que certaines choses moins d’importance, alors que d’autres en ont bien plus. Nous observons les modifications et le ralentissement de certaines fonctions du corps, nous voyons notre peau se rider et nos cheveux blanchir. Au lieu de nier ces faits et de résister aux changements intérieurs et extérieurs, nous pouvons choisir de les regarder avec un certain émerveillement, de nous arrêter pour réfléchir à notre nouvelle condition, puis d’agir en conséquence.
Prendre de l’âge est quelque chose qu’il faut explorer avec un esprit et un cœur ouverts, avec curiosité et respect, comme si nous nous préparions à un voyage vers une terre vierge, un pays inconnu! En fait, à mesure que nous vieillissons, notre apparence reflète nos vieux schémas de pensée, nos habitudes et notre mode de vie. Alors tout ce qui nous déplaît quand nous nous regardons dans ce miroir changeant, nous devons le transformer à l’intérieur!
Nous sommes constitués non seulement d’un corps matériel, mais aussi d’autres couches non matérielles et plus subtiles – notre intellect, nos facultés de pensée, notre couche émotionnelle, notre ego et notre conscience globale. Ces couches non visibles, non physiques et plus profondes, font de nous ce que nous sommes réellement.
Quel est le sens de disposer d’une vie humaine? Qu’est-ce qui la rend particulière? Cela ne vient pas seulement de ce que nous avons un plus gros cerveau et que nous marchons sur deux pieds, en d’autres termes ce qui nous différencie d’autres espèces. Notre aspect physique, avec tout ce qu’il a d’unique, fait simplement de nous une autre espèce animale. Ce genre de considérations nous oriente de plus en plus vers nos aspects spirituels, qui, à l’inverse de notre apparence physique, peuvent se perfectionner à mesure que nous vieillissons. Ils représentent un potentiel que nous pouvons cultiver pour nous épanouir. Il va de soi que toute personne vieillissante ne devient pas forcément plus sage ni ne se développe en conscience, mais cette possibilité s’offre à nous quand nous commençons à explorer cet aspect de notre être et que nous travaillons à notre croissance.
Lorsque notre beauté extérieure s’efface, il arrive qu’une porte s’ouvre sur notre monde intérieur et que, grâce à l’observation consciente, nous soyons guidés de façon naturelle vers la découverte de ces autres couches de notre être. Tout cela fait partie de la participation active au processus de vieillissement. C’est d’ailleurs la raison qui sous-tend le respect ancestral pour les anciens qu’on rencontre dans toutes les traditions et cultures autochtones. Ils symbolisent la sagesse et la conscience qui sont censées se développer pendant que nous ajoutons des années à nos vies.
Où et quand avons-nous perdu le respect que nous avions pour les anciens et pour la vieillesse? Qu’est-il arrivé à notre culture pour que nous perdions ainsi le contact avec la nature et ses cycles?
Nous avons tous rencontré des vieillards rayonnant d’une beauté magique, éthérée, subtile, qui affleure de l’intérieur. Elle se reflète dans tout leur être, comme si chacune de leurs rides faisait apparaître leur beauté intérieure sur leur visage, leur corps fragile, leur peau pâle et leurs cheveux blancs. C’est comme s’ils devenaient de plus en plus transparents pour révéler le processus mystérieux qui prend place en leur for intérieur. Ils sont entourés d’une aura de calme, d’équilibre, de légèreté qui leur donne encore plus de présence.
Ces êtres n’ont assurément pas peur de vieillir. Au contraire, ils accueillent cette étape de leur vie gracieusement, confiants dans la richesse et la beauté qu’ils ont acquises intérieurement et qu’ils offrent sans compter. C’est là, pour moi, tout l’art du vieillissement. Et cela ne se produit pas si l’on reste attaché à une conception superficielle de la beauté. Cela n’advient que lorsque nous accueillons la nouveauté de ce changement, que nous acceptons le changement comme le seul fait immuable dans notre univers, et surtout que nous collaborons avec lui pour enrichir et développer notre existence intérieure et notre conscience. Ce processus est une métamorphose, c’est l’expérience de la chenille. Au moment où notre corps s’affaiblit, s’ankylose et souffre, et où il faut finalement s’en défaire et le laisser derrière nous, nos ailes de géant aux couleurs lumineuses sont déjà là pour nous permettre de prendre gracieusement notre envol.