Interview de DEVINDER SINGH BHUSARI – Champion de tennis et coach
Il faut accepter que nous
ne prendrons pas toujours
les bonnes décisions, que nous
nous planterons parfois royalement
– en comprenant que l’échec
n’est pas l’opposé du succès,
il fait partie du succès.Arianna Huffington
C’est dans le mental que tout se joue – 2ème partie
Champion de tennis et coach, DEVINDER SINGH BHUSARI continue de partager ce qu’il considère être la juste perspective du sport. Il aborde ici la question de la pression et du stress sur le court et en dehors, et apporte une toute nouvelle dimension à l’art de la compétition et au rôle que jouent les parents dans l’accomplissement des rêves de leurs enfants.
Que représentent pour vous la santé et la forme physique?
Une des choses que j’aime particulièrement à la Shaishya Tennis Academy, c’est de m’occuper également du coaching d’adultes. Par adultes, j’entends toute personne de plus de 18 ans qui apprend le tennis ou vient jouer pour socialiser ou retrouver une forme physique. Je vois que beaucoup de gens se mettent au sport pour se sentir bien, garder la forme, avoir un corps en bonne santé. Quand je parle de «forme» ou de «bien-être», il y a bien sûr le côté physique; entraîner son corps pour pouvoir bien en disposer tout au long de la journée. Mais le second aspect de la forme, qu’on oublie souvent, est relié au mental et aux émotions. Je vois tant de joueurs arriver le matin pour jouer un set de compétition et bien commencer la journée, et qui repartent de mauvaise humeur, parce qu’ils ont perdu. Vous voyez, ce sont des priorités mal définies, des ambitions mal orientées.
Quand on regarde des matchs de tennis, on voit parfois des joueurs à l’air renfrogné, aux mâchoires serrées. On peut lire la tension partout sur leurs visages. C’est ce qui me fait dire à mes élèves: «Pourquoi ne pas fredonner un bout de chanson entre les points? Ou prendre un instant votre raquette pour une guitare? Qu’est-ce qui vous empêche de garder le sens de l’humour au beau milieu d’un match?»
Voilà une belle perspective, surtout dans le cadre du sport. Pouvez-vous nous en dire plus?
Lorsque nous en discutons en dehors du terrain, les enfants dont je suis le conseiller personnel me confient qu’ils subissent beaucoup de pression sur le court. Normalement, c’est la peur de perdre. Et le moyen qu’ils ont de savoir s’ils gèrent convenablement la pression, la peur et la nervosité, c’est d’arriver à garder le sens de l’humour et le sourire. Il en va de même pour la vie. Elle aussi nous apporte son lot de défis. Pouvons-nous y faire face avec le sourire et les accepter en restant joyeux? Voilà pourquoi je répète souvent à mes élèves: «Peux-tu sourire au milieu d’un match? Ou jouer un moment sur ta raquette comme sur une guitare? Car si tu peux garder cette approche pendant le match, c’est le signe que tu gères bien la pression. Tu es toi-même, simplement, et ton sourire te fraie un chemin.» C’est bien ça la vie, n’est-ce pas? Accepter les choses avec le sourire, même quand elles sont difficiles. Si les enfants apprennent ça dès leur plus jeune âge, ils seront très bien préparés pour la vie. C’est la beauté de tous les sports. Ils vous préparent à la vie.
L’humour et la légèreté – c’est une belle remise en perspective quand, dans le monde entier, sport et stress sont synonymes. Quelles autres astuces avez-vous trouvées pour diminuer le stress et les tensions de la compétition, que ce soit au tennis ou dans un autre sport?
Pour vous répondre, j’aimerais revenir un peu en arrière… Mon père me procurait de nombreux livres en me disant: «Considère ces livres comme tes coaches.» Je lisais donc énormément et deux ou trois livres m’accompagnent toujours. L’un d’eux, The Inner Game of Tennis, m’a particulièrement marqué. Il explore notre personnalité en profondeur, ce qui se passe à l’intérieur de nous et dont il faudrait rester conscient pendant qu’on joue un match. Je l’ai trouvé dans une vieille librairie un jour d’anniversaire et il m’a façonné. Je l’appelle «La bible de l’enseignement et de l’apprentissage du tennis.»
Intéressant! De qui est-il?
De Timothy Gallwey. Lui-même joueur de tennis, il a écrit ce best-seller avant de fonder l’Inner Game Institute (www.theinnergame.com) et de continuer sa série de livres: The Inner Game of Work, The Inner Game of Music avec Barry Green et The Inner Game of Golf. En fait, toute sa carrière est partie du tennis. Un autre livre remarquable est The Mental Game – Winning at Pressure Tennis de James E. Loehr, un pionnier de la psychologie du sport. Certaines choses que j’ai évoquées à propos de la juste perspective et que j’utilise dans mes séances de conseil viennent de là. C’est à partir de ces ouvrages et de mon expérience personnelle que j’ai développé des plans de cours et un programme destinés au conseil individuel ou de groupe; alors quand un enfant vient à moi avec un problème particulier, j’ai du matériel tout prêt pour en parler.
Pour revenir à la question de la gestion du stress, ce que j’ai pu vérifier, c’est que nous avons besoin d’une certaine quantité de stress, de nervosité ou de pression, qui est bénéfique et indispensable à la réalisation des choses. Par exemple, sans échéances, un travail n’avance pas. S’il n’y avait pas d’examens, beaucoup d’enfants n’étudieraient pas. Sans les matches, peu d’entre eux chercheraient à s’améliorer. Il faut donc une petite dose de pression pour que les choses se fassent et que les enfants jouent le jeu, si je puis dire. Le problème, c’est que beaucoup d’entre eux se sentent heureux lorsqu’ils gagnent et tristes lorsqu’ils perdent. Selon moi, c’est cette équation qui est fausse. Ne pas lier victoire et bonheur doit être constamment renforcé, car les parents et les proches des enfants sont inévitablement heureux lorsqu’ils gagnent. Et quand ils perdent, les enfants pensent que quelque chose ne tourne pas rond. Alors comment faire en sorte qu’ils continuent à être heureux même en cas de défaite?
La plus grande partie du stress provient du fait qu’une fois entrés sur le court, ils se focalisent sur la victoire pour prouver qu’ils sont meilleurs que leur adversaire. Pourtant, il m’est arrivé dans bien des cas de gagner un match sans satisfaction parce que je n’avais pas bien joué. Alors je passe mon temps à répéter aux gosses: «Lorsque vous gagnez un match, cela vous indique seulement que, ce jour-là, vous avez mieux joué que votre adversaire. Cela ne veut pas dire que vous êtes meilleur que lui. N’oubliez pas qu’un autre jour il jouera peut-être mieux que vous, et vous devrez y faire face.» Tout revient donc au fait que l’on n’aborde pas le sport dans la bonne perspective.
En fin de compte, je leur demande de se rappeler que c’est avant tout un jeu auquel on joue pour s’amuser, être en forme et pour d’autres avantages comme améliorer sa concentration et ses capacités physiques. Une fois qu’ils comprennent qu’avoir du plaisir est le plus important, toutes les complications et conséquences négatives que le sport provoque en eux disparaissent. Ils commencent à vraiment l’apprécier. Vous voyez, si on peut être un champion et ne pas avoir du plaisir à jouer, il vaut mieux être quelqu’un d’heureux, même sans jouer à un haut niveau, et c’est parfaitement ok. Cela dit, être capable de jouer au top niveau en gardant le sourire, il n’y a rien de mieux. C’est le summum!
Quel est le rôle de l’ambition dans la réussite et l’excellence?
En gestion des ressources humaines, il y a une théorie qui distingue la motivation externe de la motivation interne. Quand on est enfant, tout ce qui nous incite à faire mieux, à exceller, comme par exemple voir quelqu’un tenir un trophée, est une bonne chose. Mais je constate clairement dans mes matchs que, si j’entre sur le terrain avec des émotions positives comme le désir d’exceller, de jouer de mon mieux, je ne vais pas me sentir fortement sous pression, parce que ma motivation est positive. À l’inverse, si prouver que je suis meilleur que mon adversaire est tout ce qui m’importe, je suis motivé négativement. Par conséquent, si l’ambition consiste à être n°1, gagner un tournoi, décrocher un trophée, elle provoquera une grande pression chez l’enfant, ce qui risque à son tour de générer un tas d’émotions négatives, telles que la colère, la frustration, la nervosité, etc. Les psychologues du sport disent la même chose.
Heureusement, dans mon cas, avec The Inner Game of Tennis, The Mental Game, et la méditation, ma perspective a évolué de l’extérieur vers l’intérieur. En regardant vers l’intérieur – et la littérature indienne ancienne abonde d’exemples allant dans ce sens – je me rends compte que mon adversaire n’est pas à l’extérieur de moi. En fait, même sur le court de tennis, ce n’est pas quelqu’un qui joue contre moi. Et s’il est à l’intérieur de moi, c’est donc moi qui suis mon propre adversaire: Comment puis-je m’améliorer? Comment vaincre mes tendances négatives intérieures? Comment surmonter la peur et la nervosité qui sont en moi? Parce que je sais que si je les surmonte réellement, je pourrai mieux relever les défis que me pose mon adversaire extérieur.
Et c’est là, je crois, que l’aspiration entre en jeu, car il s’agit de devenir quelque chose à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur. Le monde extérieur prendra toujours soin de lui-même, mais si je m’attache chaque jour à devenir un meilleur être humain, à me transformer, à devenir constructif et à trouver des moyens de surmonter mes propres tendances négatives pour devenir toujours plus positif, aimant et heureux sur le court, voilà ce qu’on peut vraiment appeler l’esprit sportif. Je pense que les enfants qui possèdent cette joie et cette force intérieures sont les seuls capables de faire preuve d’un véritable esprit sportif dans les situations les plus difficiles.
Jusqu’ici nous avons parlé des enfants et de la perspective juste qu’ils peuvent développer envers le sport. Pouvez-vous nous parler maintenant de la perspective de leurs parents qui souhaitent les encourager par tous les moyens?
C’est une très bonne question. Comme je suis moi-même père d’un garçon de trois ans, je m’interroge régulièrement à ce sujet. En toute honnêteté, j’aimerais que les parents encouragent leurs enfants à se développer dans plus d’un domaine. Les études, c’est très bien mais est-ce tout? Et là, ce n’est pas seulement le sportif qui parle. La première impulsion vient toujours des parents parce qu’un jeune enfant peut ne pas avoir la sagesse nécessaire pour décider. Donc, qu’il s’agisse de sport, de musique, de danse, de robotique ou de n’importe quel autre domaine, les enfants, du fait qu’ils admirent leurs parents et veulent leur faire plaisir, suivent leurs suggestions.
Cela dit, il peut y avoir différentes étapes dans la vie. Par exemple le parent peut avoir déclenché quelque chose, mais cela ne signifie pas qu’il doive être le coach tout du long. Tenter de répondre aux attentes des parents génère une pression considérable chez l’enfant. Notre travail en tant que parents, est simplement de donner aux enfants la première impulsion, fournir un environnement porteur, les prendre en charge financièrement, les soutenir de tout notre cœur et, même si cela signifie investir un peu de temps, être là pour eux.
Peut-être avez-vous une vision ou un rêve pour votre enfant, qui je l’espère pour vous les partagera, mais dans le cas contraire, vous devriez aussi prendre en compte son point de vue. Parce qu’au moins cela signifie qu’il a sa propre vision, qu’il connaît ses points forts et qu’il sait ce qu’il veut de la vie. Si vous lui donnez ce genre de valeurs et que vous l’élevez de la bonne façon, il prendra la bonne direction et fera des choses qui le rendront heureux.
Vous nous avez vraiment ouvert à une nouvelle dimension du sport, à une vision très encourageante. Y a-t-il autre chose que vous voudriez ajouter?
Nous parlions tout à l’heure de la gestion de plusieurs responsabilités et je disais que c’était une partie de ma vie où la méditation m’aide beaucoup. En fait, je me suis colleté à ce problème pendant ces deux dernières années. Et la solution est venue d’elle-même: accomplir toutes les tâches de formateur Heartfulness, de coach de tennis, de conseiller personnel et de parent s’intègre magnifiquement à la méditation. S’engager dans la poursuite du but le plus élevé entraîne et réajuste beaucoup d’autres choses dans son sillage.
Je vous remercie infiniment et vous souhaite le meilleur dans votre pratique sportive et votre activité de coach et de conseiller personnel.
Merci à vous!