Entretien avec le Dr H.R Nagendra
Yoga, santé et recherche scientifique
DR H.R. NAGENDRA, recteur de la S-VYASA University et président de l’Indian Yoga Association, nous parle de la Journée internationale du yoga, de son impact à l’échelle mondiale, et des recherches effectuées en Inde pour démontrer les effets de la pratique du yoga sur la santé. Il est interviewé par Prasanna Krishna.
Q: Commençons par une question très personnelle. Vous étiez un scientifique de la NASA, et vous avez choisi de retourner en Inde pour consacrer votre carrière à la diffusion du yoga. Qu’est-ce qui vous a poussé à cela?
La quête de la Réalité! Au début de ma thèse de doctorat, j’ai commencé à m’interroger sur le véritable but de ce que nous faisions. On parlait d’un ‘Ph.D.’, c’est-à-dire d’un doctorat en philosophie, mais était-ce de la philosophie que nous faisions? Dans quel but? Car en fait ce but, c’était la quête de la Réalité. Mais toutes ces recherches nous faisaient-elles vraiment progresser vers la Réalité? La réponse immédiate c’était «non». Alors comment donner un sens à tout cela? Voilà le genre de questions dont nous débattions, entre étudiants et professeurs.
Puis j’ai rencontré un professeur de chimie qui connaissait très bien le sanscrit, les Upanishads, etc. Nos contacts m’ont amené à voir les choses à la lumière de ces textes qui nous enseignent que nous devons aller au-delà du monde physique.
Or ce que nous faisions en science concernait essentiellement le monde physique. Et je pense que le temps est venu pour la science de dépasser ces limites physiques et d’appréhender les dimensions plus profondes de la création. Qu’est-ce que le prana? Qu’est-ce que le mental? Peut-il exister sans le cerveau et sans le corps? Qu’est-ce que l’intellect? Quels sont les liens entre le mental, les émotions, l’intellect et la conscience? Les dieux et les déesses existent-ils? La science commence à parcourir ce domaine de la subtilité et de la causalité… quand tout cela se trouvait déjà dans les Upanishads il y a des millénaires!
Comme elles m’avaient fourni des réponses à toutes mes questions, les Upanishads m’ont attiré et j’ai rejoint ce domaine. J’étais allé à l’étranger pour savoir quels étaient les meilleurs établissements, quelles étaient les directions que prenait la science, comment les technologies se développaient, et trouver ce que je voulais étudier. Après cela, je suis revenu en Inde afin de poursuivre ce processus et j’ai rejoint le centre Vivekananda Kendra à Kanyakumari, dans le Tamil Nadu, pour dispenser des formations. Le directeur, Eknath ji Ranade, m’a dit: «Maintenant, ta voie est ici: tu dois former les jeunes». C’est ainsi que j’ai dirigé la formation pendant 14 ans avant de commencer mon travail ici, à S-VYASA.
Q: C’est donc la quête de la Réalité qui vous a guidé.
Absolument – de l’ingénierie mécanique à l’ingénierie humaine!
Q: Dans les années à venir, quel rôle jouera le yoga, particulièrement dans la santé et l’éducation, selon vous?
Grâce à notre premier ministre, le yoga s’est répandu dans le monde entier. Dans un discours à l’Assemblée des Nations Unies, il a expliqué que le yoga n’est pas un simple exercice physique ou individuel, mais bien une science holistique de la vie, et il l’a exprimé avec une telle éloquence qu’il a pour ainsi dire hypnotisé tout le monde, si bien que 183 pays ont approuvé sa suggestion de faire du 21 juin la Journée internationale du yoga. Comme il me l’a dit, le plus remarquable dans tout ça, c’est que 45 pays islamiques ont offert leur soutien. Cet appui général a ouvert la voie au yoga dans le monde entier, comme jamais auparavant. Sa portée n’a plus de limites.
Je crois que le yoga aura
un grand impact sur la
santé et l’éducation. Swami
Vivekananda disait que nous
devions repenser le système
d’éducation de fond en comble.
Il existe de nombreuses associations de yoga en Inde et à l’étranger, mais elles travaillaient en vase clos, et notre premier ministre a décidé de mettre leurs efforts en commun. Nous avons donc créé l’Indian Yoga Association, dont je suis le président. C’est ici que vous trouverez les principaux sansthas (associations) de l’Inde. Voilà comment la synergie a commencé à se mettre en place.
Je crois que le yoga aura un grand impact sur la santé et l’éducation. Swami Vivekananda disait que nous devions repenser le système d’éducation de fond en comble. À l’heure actuelle, il est basé sur une approche essentiellement britannique. Or un système d’éducation devrait avoir pour but de construire les individus et les nations, et le yoga et la méditation sont la bonne façon d’y parvenir. Nous devons donc intégrer ces disciplines progressivement dans nos infrastructures éducatives.
C’est pourquoi notre premier ministre a insisté sur le fait qu’il ne suffit pas qu’un maximum de personnes pratiquent le yoga le 21 juin, il faut que celui-ci soit bel et bien intégré dans notre système d’éducation. Nous travaillons donc avec les principaux organismes gouvernementaux pour placer le yoga au cœur de l’éducation. Ainsi, en Inde, le National Council for Teacher Education (NCTE) forme chaque année 1 300 000 formateurs d’enseignants dans le pré-primaire. Le National Council of Educational Research and Training (NCERT) fait de même dans le primaire et le secondaire, et l’University Grants Commission (CGU), dans l’enseignement supérieur. Tous les comités de ces organismes ont collaboré avec nous, et nous avons formé un groupe d’instructeurs de yoga pour développer un programme d’enseignement qui sera obligatoire.
Au début, nous avons rencontré une certaine résistance, et un groupe de gens a porté la cause devant les tribunaux. Mais la Cour suprême a statué que le yoga était bon pour tous et a approuvé un programme de yoga pour les écoles qui vise le développement intégral de la personnalité, à tous les niveaux.
La deuxième question importante, c’est la santé. La médecine moderne traite très efficacement les maladies infectieuses et contagieuses, mais les maladies non transmissibles comme l’arthrite, le diabète, l’hypertension, les problèmes cardiaques, l’épilepsie, la migraine, le syndrome du côlon irritable et le cancer ont annihilé nos chances d’atteindre l’objectif de la santé pour tous en 2010. Les efforts de l’OMS n’ont donc pas abouti.
Pourquoi? Parce que ces pathologies modernes ne sont pas vraiment de nature physique. Quand bien même notre connaissance du domaine physique serait totale, la médecine serait impuissante à guérir ces troubles qui résultent d’une agitation mentale, d’une perturbation émotionnelle et de conflits psychologiques profonds. C’est ce qu’on appelle des maladies de civilisation. Et à moins de parvenir à une normalisation totale de notre style de vie, on ne trouvera pas de solutions. Or justement le yoga et les systèmes AYUSH travaillent dans ce sens depuis 40 ans avec de magnifiques résultats, largement publiés, qui ont pris leur place dans la recherche scientifique moderne.
Swami Vivekananda nous recommandait de combiner le meilleur de l’Orient avec le meilleur de l’Occident. Le meilleur de l’Occident, c’est la recherche scientifique moderne; le meilleur de l’Orient, c’est notre sagesse. Il faut combiner les deux. C’est l’idée à l’origine de notre mouvement.
Le temps est venu pour la science de dépasser les
limites physiques et d’appréhender les dimensions
plus profondes de la création. Qu’est-ce que le
prana? Qu’est-ce que le mental? Peut-il exister sans
le cerveau et sans le corps? Qu’est-ce que l’intellect?
Quels sont les liens entre le mental, les émotions,
l’intellect et la conscience?
Nous nous sommes donc mis à publier des articles dans les meilleures revues mondiales. En 1986, nous avons diffusé les résultats d’une étude qui a duré plus de quatre ans, sur les effets du yoga sur l’asthme bronchique, et d’un seul coup dans le monde entier on a accepté l’idée que le yoga pouvait servir à traiter l’asthme.
Puis nous avons publié Yoga for Common Ailments, qui explique comment le yoga peut soulager 18 maux courants. À sa parution, le livre est sorti simultanément à Londres, Sydney et New York, nous l’avons traduit en plusieurs langues, et c’est devenu un best-seller. Aujourd’hui, c’est devenu un manuel de référence. À ce jour nous avons sorti près de 500 publications similaires. Aucune institution n’avait encore réussi à mener un aussi grand nombre de recherches. À l’échelle du yoga mondial, notre contribution représente sans doute 50 à 70% des recherches effectuées et publiées. Et c’est parce que nous sommes un organisme de recherche que nous avons choisi de l’appeler: Swami Vivekananda Yoga Anusandhana Samsthana ou S-VYASA.
Q: Comment la communauté scientifique moderne considère-t-elle la tradition millénaire du yoga?
Au départ, il y a eu beaucoup de résistance, car les gens pensaient que:
1 le yoga appartient à l’hindouisme
2 le yoga n’a aucun fondement
3 le yoga est une discipline purement physique.
Et ils ont commencé à y introduire toutes sortes d’exercices physiques qui n’avaient rien à voir, et à proposer du yoga pour les chats, les chiens, etc.
Il fallait donc renouveler le langage essentiel du yoga pour pouvoir le communiquer au monde entier – et c’est ce que notre premier ministre a fait de façon magistrale. Lors de la Journée internationale du yoga en 2015, quelque 1 800 000 personnes ont pratiqué un même programme, en Inde, et d’autres en ont fait autant dans près de 130 pays. En 2017, environ 2 800 000 personnes y ont participé rien qu’en Inde, et cette année nous visons quatre millions de participants, et nous espérons que tous les pays y prendront part également. Nous souhaitons partager notre tradition, et notre ministre des Affaires étrangères y a contribué en faisant une promotion intensive de l’événement à l’étranger.
Swami Vivekananda nous recommandait de combiner
le meilleur de l’Orient avec le meilleur de l’Occident.
Q: Pour en revenir à la santé, pouvez-vous nous parler davantage de l’impact du yoga sur les maladies non transmissibles comme le diabète et le cancer?
Nous avons choisi de collaborer avec les établissements les plus renommés mondialement. Nous avons donc travaillé d’abord sur le diabète, avec le Royal Free Hospital de Londres, dans les années 1980. Puis nous nous sommes attaqués à l’arthrite, avec le Middlesborough General Hospital, au Royaume-Uni. Ensuite ce fut le tour du pré-diabète et du VIH, avec l’University of California à San Francisco, puis du syndrome du côlon irritable à Los Angeles. Le MD Anderson Cancer Center est le plus grand centre de recherche sur le cancer, et c’est là que nous travaillons sur cette maladie, en particulier sur le cancer du sein.
Ainsi nous avons déployé nos ailes et collaboré avec les meilleures institutions de recherche au monde pour faire reconnaître l’efficacité du yoga comme complément à la médecine conventionnelle. Et c’est ainsi que le yoga est entré dans le secteur de la santé, surtout dans les villes, et nous avons fait de même avec tous les établissements indiens. Dans tous les hôpitaux, nos équipes de yoga apportent leur soutien aux malades, tout en menant parallèlement des recherches. Récemment, nous avions le projet de collaborer avec le All India Institute of Medical Sciences (AIIMS). J’y ai donné une conférence, à la suite de laquelle ils se sont dits très intéressés et désireux de travailler avec nous. Par chance, il y avait des espaces libres dans leur tour, et ils nous ont alloué environ 1200 m2 pour y installer un centre pour la recherche de pointe en médecine intégrative. Dès le départ, tous les services de cet établissement ont montré beaucoup d’enthousiasme, et nous avons maintenant 24 projets de recherche en cours. Durant les deux ou trois prochaines années, l’AIIMS produira de nombreux résultats de la recherche dans ce domaine. C’est merveilleusement prometteur.
C’est la beauté du yoga.
Si vous êtes ingénieur en
informatique, il dynamise
vos compétences en vous
aidant à mieux supporter
le stress lié à cette profession.
L’AIIMS est le meilleur institut de recherche du pays, et il dispose des meilleurs cerveaux, des meilleurs équipements, de la meilleure infrastructure et du plus grand nombre de patients. Quand je leur ai demandé combien de comptes rendus ils avaient publiés dans les revues internationales les plus réputées, ils m’ont répondu «aucun». Alors je leur ai dit que c’était précisément ce qu’ils devaient faire. Nous avons commencé récemment à publier des articles dans les revues scientifiques les plus prestigieuses, et cela les a beaucoup inspirés. Nous devons donc étayer tout ce que nous avançons par les moyens de la recherche scientifique moderne, car partout les gens veulent des preuves.
En Inde, le diabète atteint aujourd’hui des proportions épidémiques. Nous sommes le numéro deux mondial derrière la Chine, mais au rythme où nous y allons, nous pourrions bien la dépasser d’ici 2024, ce que nous souhaitons empêcher par tous les moyens. J’ai donc demandé au gouvernement de se joindre aux organismes de yoga pour provoquer un changement positif. Il y a deux ans, nous avons lancé le projet de dépister environ 250 000 personnes dans six villes réparties sur tout le territoire, et nous leur avons fait faire du yoga pendant trois mois. Peu à peu elles ont pu réduire leur dose de médicaments, leur taux de sucre s’est normalisé et nous avons obtenu des résultats extraordinaires. Sur la base de cette étude, nous avons proposé le module de yoga que nous avons développé, dont le ministre de la Santé et de la Famille a déjà annoncé l’adoption à l’échelle de tout le pays.
Cette année, il nous a demandé de concentrer nos efforts sur la lutte contre le cancer. D’où le projet Integrative Cancer, beaucoup plus ambitieux: nous allons suivre 20 millions de personnes réparties dans 125 districts. Comme nous devons intensifier nos efforts, nous faisons appel à tous les centres de yoga. Le pays tout entier doit profiter de nos découvertes faites ici, à une petite échelle. Sitôt que nous y serons parvenus, le monde entier pourra constater à quel point le yoga est bon pour la santé – et s’inspirer de notre approche, basée sur une vision holistique qui pourra devenir le modèle d’un système de santé bien conçu. Il nous faudra être extrêmement efficaces et apporter aux malades un soulagement immédiat, sans effets secondaires et surtout à moindre coût.
Q: J’ai lu quelque part que les gens qui font du yoga n’ont pas besoin de preuves de son efficacité; en fait nous ne faisons des analyses d’impact que pour convaincre le reste du monde.
Oui, beaucoup de gens en sont convaincus. Le yoga et les Vedas existent depuis des milliers d’années alors que le centre médical occidental le plus ancien n’a que 400 ans. C’est une façon de voir les choses. Mais nous aussi nous devons mettre nos traditions au goût du jour. Ce qui était pertinent il y a 5000 ans, 1000 ans ou 300 ans a peut-être cessé de l’être aujourd’hui. Nos exigences vont changer, et nous devons adapter notre cheminement à l’évolution de la société moderne, avec une approche et des modules adaptés. C’est vers cela que nous tendons.
Il est très important de faire de la recherche. Une fois que le monde constatera les résultats que nous obtenons, il les acceptera. Sans ces résultats, beaucoup de gens resteront fermés à notre approche de la santé. Par exemple, l’efficacité du yoga et de la méditation est reconnue, mais pas celle de l’ayurvéda ni de l’homéopathie. Et quand nous ouvrons des centres de médecine intégrative ailleurs dans le monde, les gens n’ont pas de problème avec le yoga, mais certains ont encore des réticences vis à vis de l’ayurvéda. Nous avons donc commencé à faire beaucoup de recherches sur l’ayurvéda et d’autres systèmes, pour montrer qu’ils sont également à l’avant-garde. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Q: Avez-vous un message pour la jeune génération?
J’aimerais dire aux jeunes que le yoga a un message pour chacun de nous. Je les invite à prendre part à la Journée internationale du yoga et à pratiquer le module très simple que nous proposons. Dès qu’ils l’auront adopté, ils commenceront à s’améliorer dans leur domaine d’activité. C’est la beauté du yoga. Si vous êtes ingénieur en informatique, il dynamise vos compétences en vous aidant à mieux supporter le stress lié à cette profession. C’est pour cela que toutes les sociétés informatiques encouragent leurs employés à faire du yoga pour se détendre. Le yoga s’applique ainsi à tous les domaines. Nous invitons tous les jeunes à participer à la Journée internationale du yoga. Commencez à pratiquer le yoga chez vous, et vous verrez les changements – les véritables transformations qu’il provoquera en vous!