illustration-interviewDans cette deuxième et dernière partie d’interview, (La première partie de l’interview est également présente sur le blog ici) le professeur Dacher Keltner, ce passionné de justice sociale et du pouvoir de l’émerveillement dans la vie quotidienne, continue à nous parler des recherches centrées sur l’émerveillement et la compassion effectuées au Greater Good Science Center, et de l’évolution de nos sociétés.

Je pratique la méditation Heartfulness, issue de la tradition du yoga, qui associe le cœur et le mental, alors que le mouvement occidental de Mindfulness s’est davantage centré sur la perception et l’ancrage dans l’instant présent.

Vous combinez les deux approches puisque, appartenant au mouvement Mindfulness, vous et votre équipe travaillez sur la compassion et les qualités de cœur. Ce que vous avez dit de l’émerveillement est passionnant. Comment l’étudiez-vous scientifiquement ?

Dans tous nos travaux, je me réfère à la perspective évolutionniste, initiée par Charles Darwin, et en particulier son opinion sur le fait que les émotions – qui prennent racine dans le cœur – déterminent profondément nos modèles d’interactions sociales. L’émerveillement est ce sentiment de vénération, de révérence, que nous éprouvons envers ce qui est plus grand que nous, que ce soit un vaste paysage, un bâtiment magnifique ou la rêverie dans laquelle nous plongent les premiers pas de notre enfant. Dans notre recherche, la première étape a été de déterminer ce qui provoque ce sentiment. C’est très intéressant et plein de surprises – la religion est moins importante que je ne croyais. La nature l’est beaucoup plus, ainsi que la magnanimité que peuvent montrer certains êtres. Des gens sont littéralement plongés dans l’émerveillement en voyant à quel point d’autres personnes peuvent être généreuses, bonnes et vertueuses.

Notre deuxième concept de travail est que l’émerveillement nous aide à intégrer des communautés solides et soudées, à être humbles, à nous sacrifier pour autrui, à ne pas trop nous centrer sur nousmême, à penser à l’autre, à prendre en compte des points de vue différents du nôtre. Nous avons donc mené de multiples études sur le terrain en suivant des gens dans des situations qui inspirent l’émerveillement – devant des séquoias, en face d’une belle vue, au concert, au musée. Nous avons aussi mis au point des expériences en laboratoire, la projection du programme Google Earth de la BBC, par exemple, qui laisse les spectateurs subjugués par la beauté du monde. Nous avons pu démontrer ainsi que l’admiration nous rend humbles, enclins au sacrifice, créatifs, scientifiques, et nous fait sortir de nos préjugés. Ce travail révèle ainsi plein de choses enthousiasmantes et belles. Nos investigations portent aussi sur la physiologie – pourquoi nous avons la chair de poule, par exemple.

C’est fascinant, parce que toute la science du yoga est basée sur l’émerveillement et la vénération. Les études scientifiques à ce sujet m’intéressent donc beaucoup.

Je pratique le yoga, pas de façon disciplinée, mais je connais bien l’état d’émerveillement qu’il peut nous faire ressentir. C’est d’ailleurs ce qui a suscité mon intérêt pour ce sujet. Je me souviens du temps où je faisais du yoga, à 17 ans, alors que ce n’était pas tellement répandu aux États-Unis ; à la sortie de mes cours j’étais émerveillé par tout ce qui m’entourait, et c’est précisément ce sentiment que notre équipe tente de comprendre.

Vous avez aussi parlé de la compassion. Parlez-nous du rôle de la compassion dans le mouvement Mindfulness.

Je pense que cela remonte à l’action de Sa Sainteté le Dalaï Lama, et au bouddhisme tibétain qui propose beaucoup d’exercices de compassion et de bienveillance. Jack Kornfield fait un très beau travail avec cette approche. On se met vraiment à prendre en compte l’humanité des autres, leurs souffrances, leurs efforts pour bien faire. Et les travaux scientifiques de Jon Kabat-Zinn, Richard Davison, Barbara Frederickson, et d’autres encore, montrent que lorsqu’on médite sur la compassion, notre système immunitaire fonctionne mieux, la chimie de notre cerveau se modifie et provoque des émotions positives, nous sommes plus heureux et la réactivité du nerf vague augmente. Le nerf vague est ce grand faisceau de nerfs qui nous aide à nous connecter aux autres, à respirer, etc. Les travaux que nous menons depuis 10 ans sur la forme la plus basique de la compassion sont encore plus intéressants. Au labo, nous montrons des images chargées d’atrocités et de douleur, des visions qui littéralement vous arrachent des larmes. Et voilà ce que nous découvrons : même devant ces scènes de cruauté et de vraie souffrance, les gens se sentent plus connectés à l’humanité, les préjugés qu’ils ont les uns envers les autres s’évanouissent, le nerf vague s’active et ils se sentent plus heureux et plus forts. Il nous faut étreindre, embrasser la souffrance des autres. C’est fondamental.

Nous sommes tous connectés.

Oui, c’est vrai, tout est connecté.

Notre monde traverse de nombreuses turbulences, transitions, transformations. Comment les choses vont-elles évoluer, selon vous? Vers quoi allons-nous? Et comment faire pour stimuler cette compassion, cette bonté, cet émerveillement au point que la conscience collective puisse s’élever?

C’était intéressant pour moi d’écrire un livre sur le paradoxe du pouvoir, de passer deux ans à réfléchir sur l’inégalité, la hiérarchie et la domination, et je vais vous dire dans quelle direction je crois que nous allons. Dans les sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs, qui ont évolué pendant environ 200’000 ans, on était assez égalitaires, entre hommes et femmes notamment, et il y avait partage au sein de communautés solidaires. Les archéologues pensent qu’ensuite, avec la sédentarisation et l’augmentation des populations, on a vu apparaître divers problèmes sociaux, tels que l’inégalité, la pauvreté, la misogynie, la polygamie et l’esclavage, quand certains ont commencé à croire que d’autres personnes leur appartenaient. Je pense que depuis 3 à 400 ans, il s’est produit dans différentes sphères une révolution due à la compassion qui nous a fait lentement sortir d’une structure sociale hiérarchique et dominatrice. On le constate dans le fait que les femmes ont plus de pouvoir et que les jeunes enfants sont mieux traités, et dans les efforts de la société pour abolir l’esclavage. Il y a également une prise de conscience de la pauvreté: bien qu’elle soit endémique aux États-Unis, si on la compare à ce qu’elle était il y a 300 ans, on vit mieux. J’ai donc l’impression qu’il y a un lent mouvement qui nous entraîne vers la compassion. C’est un combat qu’on doit mener sur plusieurs fronts, il faut choisir un secteur et continuer de lutter, ne pas baisser les bras. En ce qui me concerne, je m’occupe de permettre à des enfants pauvres de sortir, d’aller en plein air, et j’œuvre pour davantage de justice pénale. D’autres aident des jeunes filles à avoir confiance en elles pour pouvoir prendre des responsabilités dans le monde et se servir de la compassion pour combattre l’injustice. Il y a de multiples façons de s’engager.

X
- Entrez votre position -
- or -
INSTAGRAM
YOUTUBE
YOUTUBE
LINKEDIN
Share

S'inscrire à la newsletter

Rejoignez notre liste de contacts et recevez toute l'actualité de Heartfulness.

Merci pour votre inscription !

X